A l’œil, à l’oreille

Une rime pour l’oreille s’attache à clore deux vers par le même son
Exemple :
Maman\mɑ̃\
Me ment \mɑ̃\

Ce même son n’implique pas que les vers se terminent par les mêmes lettres.

Une rime pour l’œil s’attache à clore deux vers par la même suite de lettres
Exemple :
Ils s’aiment
Vraiment http://lesmotsbouscules.fr/?page_id=385

Remarque : Dans cet exemple,
le premier vers donne une rime féminine (on pourrait dire : Ils s’aimEU*)
alors que le deuxième vers donne une rime masculine.

* Penser à la chansonnette « Au clair de la lunEU » qui alterne rime féminine et rime masculine.

Dans le sonnet d’hexasyllabes ci-dessous, je joue avec ces idées :

Deux pôles : L’ouïe et l’œil
Imposent le dilemme
Du poète en éveil
Qui rencontre une femme.

Flatte-t-on son oreille
Au risque du grand dam
que le mot qu’elle accueille
trouble l’œil ibidem ?

Ou faut-il pour l’aimer
– Ô pavillons amers –
Dessiner les amers ?

A ses yeux arrimer
Les rimes éphémères ?
Ô, Villon ! Ô, Homère !

Commentaires :

Dans le premier quatrain, les rimes sont pour l’œil :

Deux pôles : L’ouïe et l’oeil
Imposent le dilemme
Du poète en éveil
Qui rencontre une femme.

Le deuxième quatrain renvoie des rimes pour l’oreille au vers du premier quatrain :

Deux pôles : L’ouïe et l’œil
Imposent le dilemme
Du poète en éveil
Qui rencontre une femme.

Flatte-t-on son oreille
Au risque du grand dam
que le mot qu’elle accueille
trouble l’œil ibidem ?

Remarque : J’ai systématiquement fait rimer pour l’oreille une rime féminine avec une rime masculine (ce qui est très très mal et enfreint toutes les règles de la prosodie ophyssielle.)

Dans les deux tercets qui suivent, j’ai joué avec des rimes en mɛʁ\ et mɛ\ :

Ou faut-il pour l’aimer
– Ô pavillons amers –
Dessiner les amers ?

A ses yeux arrimer
Les rimes éphémères ?
Ô Villon ! Ô Homère !

Remarque : Je fais rimer l’adjectif amers avec le nom amers (ce qui doit aussi être interdit.)
C’est à peine justifié par un champ sémantique de la mer mɛʁ\ :
– le pavillon est à la fois une partie de l’oreille (bien amère à l’écoute de ce tercet pour l’œil) mais aussi une puissance navale
– l’amer est un élément topographique qui attire l’œil du marin et l’aide à se repérer
– Le verbe arrimer renvoie également au vocabulaire marin tout en contenant le verbe rimer.

Le dernier vers évoque
le poète Villon qu’on peut prononcer \vilɔ̃\ (ça se discute ) et qui offre une nouvelle rime pour l’œil avec pavillon
et Homère, le célèbre aède aveugle.
Cette infirmité doit probablement amener à privilégier la rime pour l’oreille et peut-être le sonnet aurait-il été plus puissant si, au lieu de Villon, j’avais choisi un poète sourd (qui privilégierait, on le suppose, les rimes pour l’œil).
Une rapide recherche m’apprend que le poète Ronsard était sourd.
J’aurais donc pu proposer un dernier vers :

Ô Ronsard ! Ô Homère !

Le jeu entre Villon et pavillon m’a d’abord retenu et puisque j’avais encore quelques rimes pour l’œil à explorer, j’ai écrit à la suite ce double quatrain où rien ne rime pour l’oreille et où systématiquement, les rimes pour l’œil renvoient un vers à terminaison singulière à un autre à terminaison plurielle (encore un écart coupable, probablement !) :

Mais plutôt que Villon
Ronsard s’impose-t-il ?
Certes, ces pavillons
tendus, sont bien gentils

Mais le lourd handicap
du second, en l’action,
Mettrait dans de beaux draps
Si jamais nous l’actions.

Un poème d’Alphonse Allais — Rimes riches à l’œil

D’autres poèmes de Gilles Esposito-Farèse , , ici et.


Ci-dessous, un sonnet isocèle par parties
aux rimes parfois pour l’œil et parfois pour l’oreille