Préface du livre

A Raymond Q. (qui se reconnaîtra)

MODE D’EMPLOI

Raymond Queneau, en 1961, offrait à l’humanité tout entière ses géniaux cent mille milliards de poèmes. Grâce à un astucieux jeu de petits volets, le lecteur choisissait lui-même chaque vers parmi les dix proposés à chaque ligne et était à peu près sûr, ce faisant, au regard du nombre de combinaisons possibles*, de se trouver face à un sonnet vierge de toute exploration littéraire.

Je reprends à mon tour ce subterfuge voletomatique pour proposer à mon tour cent mille milliards de sonnets autour d’une même et unique petite historiette.

(*) Certaines sources historiques particulièrement bien renseignées avancent l’hypothèse que le nombre de combinaisons possibles aurait inspiré Raymond Queneau lorsqu’il s’est agi de trouver un titre à son œuvre.

Raymond Queneau débutait son mode d’emploi introduisant Cent mille milliards de poèmes par cette précision :

« C’est plus inspiré par le livre pour enfants Têtes de Rechange que par les surréalistes du genre Cadavre Exquis que j’ai conçu – et réalisé – ce petit ouvrage ».

Me concernant, c’est inspiré uniquement, totalement et infiniment par Raymond Queneau que j’ose, toute honte bue, proposer à mon tour ce plagiat du plagiat de Têtes de Rechange intitulé Cent mille milliards d’exercices de style.

Qu’il soit noté ici qu’en aucun cas je ne me contente de plagier grossièrement ses Cent mille milliards de poèmes mais bien que je pousse l’indécence jusqu’à plagier aussi (*) ses Exercices de style. En effet, en 1947, Queneau proposait cent versions aux styles aussi variés que lumineux d’une petite historiette survenue un matin dans le bus de la ligne S. Historiette dont je me permets aujourd’hui d’ajouter la bagatelle de quelques cent mille milliards de versions supplémentaires.

Autant dire qu’il ne reste plus grand-chose à ce pauvre Raymond, une fois mon forfait commis. Au moins ai-je eu le sentiment d’avoir trouvé seul le titre de mon petit livre !

(*) Tout ça évidemment imprimé sur du papier recyclé. L’imposture est complète.

Raymond Queneau annonçait, à la suite de savants calculs, qu’il faudrait, « en lisant toute la journée 365 jours par an, 190 258 751 années plus quelques plombes et broquilles » pour lire l’intégralité de ses Cent mille milliards de poèmes. Je vous invite donc – dès que vous aurez fini les siens évidemment – à vous plonger dans ces 1014 nouveaux sonnets où les mots dedans ploient sous les contraintes oulipiennes que je leur ai fixées.
Je ne vous cache pas que je suis particulièrement fier du 94 198 379 905 329ème sonnet mais je ne voudrais surtout pas influencer une lecture qui vous appartient désormais totalement.

L’illustre poète avait choisi de donner un titre à chacun de ses Exercices de style et j’ai moi-même décidé de n’en rien faire car comme disait Raymond Queneau citant Lautréamont qui devait avoir piqué la formule à un tiers* : « La poésie doit être faite par tous, non par un ! ». Une façon, me semble-t-il, de vous dire d’une part que si vous trouvez scandaleux qu’un poème n’ait pas de titre, vous pouvez toujours lui en trouver un et le rajouter en haut de la page et d’autre part que si cet ouvrage ne vous paraît finalement pas terrible, il se pourrait que ce soit surtout le fait d’une lecture approximative de votre part.
Je n’attends, de toute façon, pas de critique avant « 190 258 751 années plus quelques plombes et broquilles » car avant, je ne pourrai pas penser que vous avez lu sérieusement ces poèmes.

(*) Tiers qui n’était probablement autre que la moitié de la demi-sœur (certes ça ne fait plus beaucoup !) d’une de mes plus chères arrière-grand-tantes. Disons-le, dans cette affaire, la lumineuse pensée de mon propre sang est littérale-potentielle-ment pillée invergogneusement. Étonnamment, les spécialistes sont restés jusque-là nocemment muets.

Bon, assez causé ! Je ne vous retarde pas plus longtemps car vous avez de la poésie à faire. D’ailleurs, je vous ai laissé 14 petits volets pour écrire un onzième sonnet. Évidemment, il vous faudra, du coup, rayer le titre sur la couverture avec un gros feutre et le remplacer par :

Trois cent soixante-dix-neuf billions
sept cent quarante-neuf milliards
huit cent trente-trois millions
cinq cent quatre-vingt-trois mille
deux cent quarante et un
exercices de style

(écrivez petit)

Et si par malheur, votre petit dernier arrachait l’un des volets – sans faire exprès, évidemment ! – il vous faudrait encore modifier le titre comme suit :

Trois cent quarante-cinq billions
deux cent vingt-sept milliards
cent vingt et un millions
quatre cent trente-neuf mille
trois cent dix
exercices de style
et une fessée

Bonne lecture.