Sonnets sur l’écriture

LE DERNIER SONNET

Que te rongent ces vers, misérable poète,
N’auras-tu jamais su simplement t’émouvoir
Laisser crier ton cœur au temps des désespoirs
Sans habiller de mots les pluies et les tempêtes ?

Te pensais-tu si froid et si vide qu’en fait
Tes larmes ne coulaient que de l’encrier noir
douze pieds à la ligne et caressant l’espoir
Que ton salut naîtrait de l’emphase parfaite ?

Songe à ce miséreux dont tu t’es mis en tête
D’écrire les blessures en de belles histoires
Le privant à jamais de sa propre mémoire.

Virevolte en plume en ce matin de fête
Dont tes pauvres yeux secs ne verront pas le soir
Ni cette vengeresse épitaphe à ta gloire.


L’HOMME ÉCRIT DE SES YEUX

L’homme lit ce sonnet du bout de son stylo,
Parcourt, anticipant, le futur chemin d’encre,
Les pleins et déliés, la lettre qui s’échancre,
Et le point sur le i comme un petit îlot.

La pointe danse et compte où s’arrête la rime,
Virevolte, indomptée, à la lame des maux
D’un à venir prochain déferlement de mots
Dans le silence blanc vers lequel tout s’abîme.

La main se paralyse et l’aile est en suspens.
La plume, en ce combat, est pareille aux kirpans
Et lacère la page, en extirpant le verbe.

L’encre sèche et déjà, le spectre est effacé ;
Tout s’incarne à présent, éternel et superbe.
L’homme écrit de ses yeux la trace du passé.


SONNET D’AMOUR

Elle respectera les rimes embrassées
Dans les premiers quatrains d’un poème d’amour ;
Leur schéma sera strict comme un sonnet de cour
Et les fautes d’accord seront débarrassées.

L’alternance de genre est une panacée
Obligeant tout poète à changer son discours
Car une telle erreur distingue les paours ;
L’écriveronne en herbe en serait terrassée.

La prosodie impose un distique français
Dès que la plume invite à passer aux tercets ;
Banville, sur ce point, était catégorique.

Elle gomme un hiatus, corrige onze e caducs,
Recompte sur ses doigts la fidèle métrique
Et n’a plus aucun vers pour écrire des trucs.


MALHEUR A CE SONNET

Tous les poèmes sont une révolution,
Une grande bascule un peu désespérée
De la langue et du monde, Ô muse intempérée,
La redéfinition du mot définition.

La contrainte, toujours, est la métamorphose
De la phrase ordinaire en un vers chancelant,
Le mot-sens est mot-note au timbre étincelant,
Motif ou contre-mot que la plume amorphe ose.

Malheur à ce sonnet dont les experts s’accordent !
Nul texte ne survit sauf si l’on perd sa corde
En mille hésitations de lectexplorateur.

Au savant traducteur, préférons l’interprète
Qui joue, aux creux des mots, l’incertain orateur,
Et cale son orphée avec un vieux poète.


VIE ET MORT D’UN SONNET


QUAND TU L’AURAS ÉCRIT

Quand tu l’auras écrit, ce poème sera.
D’ici là, ce seront mille hésitations folles
Et des renoncements ; tu t’y frottes, t’y colles,
En esclave du verbe, Ô, pauvre pâtira !

Trouveras-tu l’image où se ressemblera
Notre monde à lui-même, ranimant ses furoles
Et tournant ses miroirs vers les louves-garolles
Du sombre labyrinthe où s’agite le rat ?

Y lira-t-on l’espoir d’une nouvelle langue
Qui s’amorce aujourd’hui dans une rime exsangue
Ou l’ininterrompu flot de mots déjà lu ?

Décortiquera-t-on les champs et le système
De ce texte contraint en quête d’absolu
Qui s’écrit sous nos yeux et devient un poème ?


ÉCRIRE EST UN VOYAGE

Écrire est un voyage au bout de la nuit blanche
Où la plume s’enfonce en un sable émouvant,
Sur une plage blanche au grain pâle buvant
L’ancre qui coule à flots sous la fragile planche.

Écrire est un voyage au cœur d’une avalanche
De vagues souvenirs bercés au gré d’avant,
Rimant sous cape à l’est, toute prose devant,
Empreinte de pieds noirs sur le pont d’une lanche.

Écrire est un voyage aux ressources du temps,
Roman fleuve impossible au creux d’un bateau livre,
La recherche éperdue, en vain, qui nous enivre.

Écrire est un voyage au-dessus des étants,
Des peut-êtres seront, si le veut ce poète
Que l’on honore au sud où l’histoire s’arrête.


ÉTYMALOGIE

J’aurais dû commencer par le commencement,
Choisir un incipit à structure ingressive,
Pour tisser lentement un fil commun semant
Une ode ni tortue ni, vois-tu, régressive.

Il y eut un passé – Depuis, comme on se ment ! -.
D’où provient cette voix qui sature, égressive ?
Saurait-on remonter, là, jusqu’au mince man
Qui nourrit dans nos cœurs la nature agressive ?

L’origine des maux, la source de l’amer
Glisse indéfiniment, – silice dans la mer -,
Entre mille autres faits et fuit quand on l’attrape.

Ce Hanneton cruel nous disloque en passion
Triste, en sombre rancœur, invoquant, en la trappe
Des remords infinis, l’ignoble occupation.

Les rimes sont sur 4 pieds
exceptée le deuxième son voyelle.
Exemple :
vers 1 : kom\ɑ̃\semɑ̃
vers 3 : kom\œ̃\semɑ̃
vers 5 : kom\ɔ̃\semɑ̃
vers 7 : kom\ɛ̃\semɑ̃


ELLE PEINT DE SA PLUME

Elle peint de sa plume un grand tableau de proses
Sur le rectangle blanc à l’instant recouvert
De mots hauts en couleur comme ceux de Prévert :
Une palette d’ors, de princes et de roses.

Par touches, elle brosse un brillant univers
Qu’une pluie arc-en-ciel de lumières arrose ;
Puis d’un ton nuancé, la sublime auteure ose
Un dégradé d’humeurs qui nous prend à revers.

Elle a ce don de lire en un jour médiocre
La teinte d’un espoir de ses yeux bleus perçant
Derrière la grisaille, un vignoble persan.

Elle a ce don de dire une poussière d’ocre
Qui nous la donne à voir comme un rayon d’argent,
Entre les lignes, noir, pas à pas se chargeant.


Il n’y a pas de mots pour dire le silence
Qui bourdonne en canon quand s’arrête Mozart
Dans le vide encombré du mutisme bavard
De ces mille échos sourds émus d’effervescence.

Du battement d’un cœur, jaillirait l’indécence
En ce temps suspendu d’un si certain hasard
A ce moment du monde, au lieu de nulle part,
Éclatant dans la nuit blanche de son absence.

Dans cette attente tue – entêtante torpeur -,
Nulle Lune n’allume une humaine rumeur
D’ébruitements de bris brutaux et subreptices.

Encor quelques instants de ces longues tensions
Pour expier le souffle en futiles supplices
D’éteindre le secret d’indicibles passions.

Le silence de ce sonnet est écrit en blanc. Sélectionner le texte avec la souris.


LE PREMIER SONNET